Le grand bazar numérique de l’adoption canine

À l’ère du tout-connecté, rechercher et adopter un chien n’a jamais été aussi accessible. Quelques clics, une annonce séduisante, la photo craquante d’un chiot… et le rêve semble à portée de main, sans bouger de son canapé. Mais derrière cette facilité trompeuse, adopter un chien via Internet expose à d’importants risques, bien réels eux. Parfois difficiles à anticiper, souvent lourds de conséquences, ils ne concernent pas seulement le portefeuille, mais aussi la santé du chien, l’équilibre de la famille, voire le cœur lui-même.

Le phénomène est massif : en France, près de 68 % des adoptions de chiots passent aujourd’hui par des annonces en ligne (Centrale Canine, 2023), qu’il s’agisse de particuliers sur Leboncoin, de professionnels sur des plateformes spécialisées, d’associations ou… d’intermédiaires peu scrupuleux. Pourtant, la réalité derrière l’écran est parfois bien éloignée de la belle histoire annoncée.

Derrière l’écran, la face cachée du marché : arnaques et pratiques douteuses

Un terrain propice aux arnaques sous toutes leurs formes

  • Arnaques financières : Certaines annonces promettent des chiens « de race » à des prix imbattables, ou exigent le versement d’arrhes pour une prétendue réservation. Selon la DGCCRF, le préjudice s’élève à 30 millions d’euros par an sur le secteur animalier en ligne en France (source : DGCCRF, rapport 2022).
  • Usurpation d’identité : Quand la photo du chiot ou du chien présenté ne correspond pas à la réalité, qu’il s’agisse d’une image volée sur Internet ou d’un animal inexistant… La déception est une chose, mais le sentiment de trahison, lui, laisse des traces durables.
  • Détournement logistique : On propose au futur adoptant de régler par mandat cash pour le transport. Le chien n’arrive bien sûr jamais, mais l’argent, lui, a disparu à tout jamais.

Élevages clandestins et importations illégales : la face sombre de l'offre en ligne

  • Élevages intensifs et trafic : Beaucoup d’animaux proposés en ligne proviennent de filières illégales, souvent issues de pays de l’Est, élevés dans des conditions sanitaires désastreuses. Selon la SPA, près de 20 000 chiots seraient introduits illégalement en France chaque année (SPA, 2021). Les chiots en ligne peuvent arriver non identifiés, non vaccinés, invalidant tout recours en cas de souci.
  • Absence de traçabilité : L’origine réelle du chien est floue, la généalogie inconnue, rendant toute démarche de recours ou de vérification impossible en cas de problème de santé ou de comportement.

Des risques sanitaires extrêmement élevés

L’adoption d’un animal via Internet, sans possibilité de visiter le lieu d’élevage ou d’observer les conditions de vie, expose à de graves problèmes vétérinaires. Cela concerne tout autant la santé immédiate du chien que celle du foyer adoptant.

  • Maladies contagieuses : De nombreux chiots issus du commerce en ligne sont porteurs de maladies infectieuses graves comme la parvovirose, la maladie de Carré ou la leptospirose. Des cas de rage importée sont encore rapportés chaque année en France (Bulletin Épidémiologique Santé Animale, Anses, 2021).
  • Parasitoses, vers, gale… : Chiots infestés de vers, de puces, de tiques ou de gale, parfois même porteurs de teigne transmissible à l’humain. En 2022, près de 12 % des consultations vétérinaires chez les jeunes chiots de moins de 4 mois concernent des problèmes parasitaires graves (source : APVMA, 2022).
  • Absence de garanties vétérinaires : Livret de santé falsifié ou absent, carnet de vaccinations incomplet, certificat vétérinaire manquant, numéros de puce non rattachés au bon animal… Tout cela rend toute action ultérieure (traitement, retour, plainte) bien complexe.

Chocs comportementaux et sociabilité en berne : ce que cache la photo du chiot parfait

Des chiots privés de socialisation

Chez l’éleveur ou le refuge, la socialisation du chiot, entre 3 et 12 semaines, est cruciale. Beaucoup d’animaux vendus sur Internet ont grandi sans stimulation ni contact humain, dans des boxes ou cages insalubres, privés d'expérience essentielle. Les conséquences sont souvent lourdes :

  • Chiens craintifs, incapables de supporter la vie en ville
  • Réactions imprévisibles face à l’humain, aux enfants, aux bruits quotidiens
  • Déficits cognitifs qui vont persister (manque d’exploration, learning deficits, troubles anxieux, etc.)

L’adoption aveugle = risques accrus d’abandon

Un animal « acheté » sur une photo risque de ne pas correspondre à ce que la famille est prête à accueillir (besoins physiques, tempérament, taille adulte souvent sous-estimée, etc.). Ce décalage est responsable d’une part importante des abandons : la SPA estime qu’environ 40 % des chiens abandonnés chaque année en France sont issus d’achats impulsifs, majoritairement via Internet (SPA Baromètre 2022). Les refuges croulent sous les chiens « invendables » aux troubles comportementaux marqués, issus de ce circuit opaque.

Vers une législation renforcée… mais encore contournée

  • Depuis janvier 2022 : tout cédant d’un animal sur Internet doit obligatoirement fournir un numéro SIREN, rendre public l’identification de l’animal et les conditions de vente (loi n° 2021-1539 dite « Santé Animale »). Pourtant, un contrôle de la DGCCRF a relevé que près de 40 % des annonces ne respectaient pas ces obligations (source : DGCCRF).
  • Rôle croissant des plateformes : Certaines plateformes (Leboncoin, SecondeChance, etc.) mettent en place des filtres et des signalements. Mais la protection reste partielle face à la créativité des fraudeurs.

Entre textes de loi, pratiques hors la loi, et contrôles difficiles à massifier, l’acquéreur reste en grande partie responsable et doit être plus vigilant que jamais.

L’aventure en ligne : quand adopter devient une loterie…

Les pièges du clic impulsif

Tout va très vite. L’attrait de “l’exclusivité”, du prix coup de poing, du chiot “à réserver d’urgence”, joue sur les émotions. Or, un achat animalier impulsif est l’un des principaux facteurs d’échec relationnel, d’abandon, de souffrance pour l’adoptant comme pour le chien.

Quelques signaux qui doivent alerter :

  • Annonce rédigée dans un français approximatif, ou traduite automatiquement
  • Photos trop “parfaites”, issues de banques d’images
  • Prix anormalement bas, “sauvetage urgent” de chiens réputés rares
  • Absence de numéro SIREN ou de justificatif légal
  • Obligation de verser un acompte avant tout contact réel

Si l’on sent une pression à la rapidité, un refus de montrer l’animal dans son environnement, ou une logique strictement commerciale, il faut passer son chemin.

Comment adopter sereinement en ligne ? Conseils pratiques pour éviter les pièges

  1. Privilégier les plateformes sérieuses Consultez les annonces sur des portails reconnus (sites d’associations légales, fédérations d’éleveurs, refuges nationaux labellisés). Evitez les petites annonces généralistes quand c’est possible.
  2. Démarche de vérification systématique
    • Demandez toujours à voir le carnet de santé, le certificat vétérinaire et l’identification du chien (puce électronique ou tatouage).
    • Exigez une visite du lieu où vit l’animal. C’est le seul moyen de vérifier les conditions d’élevage : présence de la mère, état sanitaire du lieu, comportement en groupe…
    • Contactez, si vous avez un doute, la mairie ou la DDPP (Direction Départementale de la Protection des Populations) du département pour vérifier l’existence légale de l’éleveur.
  3. Préparer son adoption et éviter l’impulsion
    • Élaborez une réelle réflexion familiale avant tout engagement : mode de vie, contraintes, coûts, caractère recherché, activités à partager…
    • Prévoyez un délai de réflexion, même si le coup de cœur est là ! Un professionnel sérieux saura attendre.
  4. Accompagnement par un éducateur ou un vétérinaire
    • N’hésitez pas à solliciter un avis extérieur pour analyser une annonce, un profil de chien ou accompagner une première rencontre.
    • Un professionnel pourra vous alerter sur des signaux faibles et vous aider à anticiper les besoins du futur compagnon.
  5. N’oubliez pas les refuges et associations proches de chez vous Beaucoup proposent des annonces sérieuses en ligne, mais encouragent la rencontre en amont. À la clé, un suivi et une meilleure adéquation animal-famille.

Penser l’adoption autrement : la prudence, meilleur allié de la relation à venir

L’adoption d’un chien en ligne, séduisante sur le papier, est traversée de pièges multiples : escroqueries, traumatismes psychiques, problèmes sanitaires durables. Mais elle peut aussi permettre à de formidables compagnons de croiser notre route... à condition d’en faire un véritable projet de vie, pas un achat rapide.

Face à la magie trompeuse du clic, il faut s’accorder du temps. Chercher, comprendre, rencontrer. S’informer sur les pratiques légales, s’entourer, ne pas croire aux miracles… Toutes ces démarches, loin de complexifier l’adoption, permettent, au contraire, de tisser, dès le départ, un lien de confiance et de respect avec le futur compagnon. Car choisir d’accueillir un chien, ce n’est jamais banal : c’est l’histoire d’une vie qui commence, bien plus riche que n’importe quelle promesse vendeur en ligne.

Sources :

  • Centrale Canine – Statistiques nationales 2023
  • DGCCRF – Rapport sur le commerce animalier en ligne, 2022
  • Société Protectrice des Animaux (SPA), baromètres 2021 et 2022
  • Bulletin Épidémiologique Santé Animale, Anses, 2021
  • Australian Pesticides and Veterinary Medicines Authority (APVMA), Veterinary Review 2022

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