Un phénomène en pleine expansion

Depuis une dizaine d’années, l’adoption de chiens venus d’autres pays a pris une ampleur inédite en France. D’après l’association Fondation 30 Millions d’Amis, 8 000 à 10 000 chiens originaires de Roumanie, d’Espagne ou encore du Maroc rejoignent chaque année des familles françaises (chiffres 2022). La formule est séduisante : sauver un animal d’un refuge surpeuplé, échapper à la misère des rues, et ressentir la satisfaction d’avoir offert une seconde chance. Mais derrière l’élan du cœur, la réalité demande parfois un peu plus de réflexion.

Est-ce si vertueux d’adopter au-delà des frontières ? Y a-t-il des risques pour le nouvel arrivant (et ses adoptants) ? Quelles démarches concrètes prévoir ? Explorons les aspects essentiels avant de se lancer dans l’adoption internationale.

Pourquoi tant de chiens étrangers arrivent en France ?

  • Surpopulation et abandon massif : dans certains pays d’Europe de l’Est, d’Afrique du Nord ou du Sud de l’Europe, le nombre de chiens errants explose, faute de campagnes de stérilisation et sous la pression de politiques d’abattage parfois brutales.
  • La puissance des relayeurs : associations, refuges, bénévoles… Plusieurs acteurs s’organisent pour mettre en réseau les chiens en attente d’un foyer, proposer un pré-adoptant à l’étranger, et organiser le transport vers la France.
  • L’implication émotionnelle : vidéos poignantes, adoptions « coup de cœur » sur les réseaux sociaux, mise en avant de cas désespérés : le potentiel affectif joue à plein.

Il suffit de parcourir les sites d’annonce ou les groupes Facebook pour tomber en quelques clics sur des dizaines de chiens disponibles à l’adoption, prêts à voyager… voire déjà en transit vers l’Hexagone.

Les avantages à adopter un chien à l’étranger

Loin d’être une « mode », l’adoption à l’étranger peut répondre à une vraie logique solidaire et humaine :

  • Sauver un chien condamné : Dans certains pays, un chien en refuge a peu de chances de survie à moyen terme — conditions sanitaires déplorables, euthanasie faute de place, errance.
  • Offrir une nouvelle vie à un animal invisible : Certains profils (chiens adultes, victimes de mauvais traitements ou de handicaps) trouvent plus difficilement preneur dans leur pays d’origine.
  • Participer à une démarche citoyenne : De nombreux refuges français affichent complet — l’adoption à l’étranger peut être vue comme un acte altruiste et concret.

Mais adopter loin de chez soi suppose de garder la tête froide : il ne s’agit pas d’un simple « sauvetage » ponctuel, mais d’un engagement de 10 à 15 ans.

Les défis et risques à anticiper

Risques sanitaires réels

  • Maladies absentes en France : La leishmaniose, fréquente autour du bassin méditerranéen (Espagne, Grèce, Maroc), touche jusqu’à 40% des chiens errants selon l’OIE. La démodécie, la dirofilariose (ver du cœur), la rage dans certains pays hors UE… Toutes ces maladies sont parfois incurables et transmissibles à l’homme ou à d’autres animaux.
  • Vétérinaire et traitements : De nombreux chiens arrivent avec des statuts sanitaires flous, des vaccinations « maison » mal contrôlées, parfois porteurs de pathologies non dépistées.
  • Isolement obligatoire : Un chien venant d’un pays à risques peut nécessiter une période d’isolement, des contrôles vétérinaires approfondis (Animal Services rappelle qu’il est préférable de réaliser un bilan sanguin complet dès l’arrivée).

Comportement : des chiens marqués par la vie

Un chien élevé dans la rue, victime de traumatismes ou habitué à la survie, n’a pas la même « grille de lecture » qu’un chiot socialisé dans un foyer. Parmi les difficultés fréquemment rencontrées :

  • Peur de l’humain, méfiance ou agressivité
  • Fugue (certains chiens restent de redoutables explorateurs, adeptes du grand air)
  • Propreté, destruction ou aboiements
  • Socialisation compliquée avec enfants ou autres animaux

Selon une enquête réalisée par la SPA, près de 30% des chiens importés font l’objet d’un accompagnement comportemental la première année, contre 15% pour les chiens issus de refuges français.

Des démarches administratives bien spécifiques

Éloignez l’idée d’une adoption « clic & rapatriement ». L’adoption à l’étranger nécessite :

  • Un passeport européen (pour un animal venant d’un état membre), mentionnant la vaccination antirabique en règle, obligatoirement réalisée plus de 21 jours avant l’entrée.
  • Une identification par puce électronique compatible avec les systèmes français.
  • Des certificats vétérinaires spécifiques (Ministère de l’Agriculture français), parfois des titrages d’anticorps contre la rage pour certains pays tiers.
  • Un organisme capable de garantir la bonne traçabilité de l’animal (contrats, suivi, cotisation, etc.). Attention aux filières obscures !

Adoption à l’étranger : questions à se poser avant de franchir le cap

Avant de craquer devant une photo ou une vidéo, il est précieux de s’arrêter sur les questions suivantes :

  1. Suis-je prêt(e) à accueillir un chien qui peut avoir des séquelles psychologiques importantes ?
  2. Ai-je les ressources (temps, patience, finances) pour assumer des soins vétérinaires parfois plus coûteux ?
  3. L’association ou l'organisme est-il fiable, transparent et légalement reconnu ?
  4. Quelles sont mes attentes sur la relation avec ce futur compagnon, au-delà de la simple envie de « sauver » ?

Beaucoup d’adoptants témoignent d’un vrai parcours du combattant la première année : la phase de « lune de miel » laisse souvent place à l’arrivée de difficultés, et sans accompagnement, la relation peut vite se tendre.

Prendre soin de son compagnon adopté à l’étranger : conseils pratiques

Un suivi vétérinaire rigoureux et régulier

  • Bilan complet d’arrivée : examens sanguins de dépistage (leishmaniose, ehrlichiose, dirofilariose), contrôles parasitaires, vaccinations.
  • Pédagogie autour de la santé : les tiques, moustiques et autres vecteurs sont parfois porteurs de maladies absentes en France, mais présentes dans le pays d’origine du chien adopté. Adopter les bons protocoles préventifs est indispensable.
  • Carte d’identification à jour : faire enregistrer au fichier I-CAD dès l’arrivée (c’est obligatoire).

Favoriser l’adaptation comportementale

Chaque chien porte son histoire comme un sac à dos : certains arrivent légers, d’autres bien chargés. Pour leur offrir les meilleures chances d’intégration :

  • Favoriser un cadre calme et sécurisant, limiter la multiplication d’expériences nouvelles au départ.
  • Mettre en place un suivi avec un éducateur canin spécialisé si les troubles du comportement surviennent.
  • Prendre le temps d’apprendre les signaux de communication canins : pourquoi un chien peut-il « grogner » en situation stressante ? Comment reconnaître un besoin de distance ? Le respect et la patience restent les alliés d’une relation apaisée.

Adopter à l’étranger, est-ce négliger les chiens français ?

C’est une question souvent posée, et les débats sont parfois houleux. Selon La SPA, la France héberge encore, chaque année, près de 100 000 animaux abandonnés, dont 60 000 chiens. Adopter en France reste donc tout aussi vertueux et nécessaire. Plusieurs refuges rappellent toutefois qu’aucune adoption — ici ou ailleurs — ne doit être jugée, tant qu’elle est réfléchie et responsable.

Néanmoins, cela ouvre une autre réflexion : adopter un chien loin de chez soi ne résout pas la racine du problème — la surpopulation canine. De nombreuses associations à l’international travaillent à des campagnes de stérilisation, de vaccination, de réinsertion sociale, afin d’endiguer le phénomène plutôt que de le déplacer véhicule par véhicule.

Checklist pratique pour une adoption à l’étranger réussie

  • Se renseigner sur l’organisme : site officiel, existence juridique, avis d’anciens adoptants.
  • Demander et vérifier tous les documents : passeport, carnet de vaccination (avec étiquettes et signatures), rapport vétérinaire traduit si nécessaire.
  • Préparer son foyer à un chien potentiellement craintif : double porte, harnais sécurisant, zone de repli silencieuse.
  • Anticiper un budget plus conséquent la première année : entre 400 et 1000 euros de frais vétérinaires sont souvent constatés lors de l’arrivée (source : Le Monde, 2023).
  • Prévoir une rencontre, quand c’est possible, avant l’adoption ou solliciter l’avis d’un éducateur comportementaliste à distance.

Regard sur l’avenir : quelles solutions pour demain ?

Face à la multiplication des adoptions internationales, certains pays de l’Union européenne (Pays-Bas, Allemagne) ont renforcé leurs contrôles ou durci la réglementation pour éviter l’importation non maîtrisée de chiens porteurs de maladies ou victimes de trafics. L’Union européenne travaille sur des protocoles communs et encourage le développement de programmes locaux de gestion animale.

Les initiatives pour soutenir la cause canine, que ce soit ici ou là-bas, ne manquent pas : soutien aux refuges français, aide aux campagnes de stérilisation, promotion de l’éducation et du vivre-ensemble, accompagnement post-adoption. Le plus important reste de s’engager avec lucidité, détermination et bienveillance — pour offrir à chaque chien la vie équilibrée qu’il mérite, quelle que soit sa terre d’origine.

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